Le film Good morning England (The Boat That Rocked), sorti en mai 2009 et disponible en DVD et Blu-ray se déroule sur un bateau qui abrite une radio pirate. A cette occasion, Sweet Sixties vous propose de retrouver cette ambiance du milieu des années 60 lorsque les DJ's des radios pirates n'avaient pas peur de défier le gouvernement britannique pour diffuser la musique qu'ils aimaient. Ces DJ's de Radio Caroline, de Radio London et quelques autres, vont écrire l'histoire de ces pionniers de la radio moderne...
Le second single des Fortunes (groupe de Birmingham), Caroline, en 1964, devient l' indicatif de Radio Caroline mais le groupe devra attendre l' année suivante pour se classer dans les charts avec You've Got Your Troubles (n°2) et Here It Comes Again (n°4).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Good morning England est le troisième film réalisé par Richard Curtis, qui s'était d'abord imposé comme scénariste à succès. C'est lui qui avait écrit Quatre mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill et Le journal de Bridget Jones. Good morning England est sa première comédie.
Richard Curtis rappelle ce qu'était la radio anglaise avant l'apparition des radios pirates: "C'était en fait une radio nationalisée qui était terriblement démodée. Il fallait parfois supporter deux heures de comédie avant d'entendre : 'Et maintenant, voici un groupe très populaire, les Kinks, avec leur dernier N°1.' C'est alors que les radios pirates ont commencé dans l'illégalité avec des groupes de gens très insouciants et pas très bien organisés. Mais ce que l'on comprenait quand on les écoutait, c'est que c'était des gens qui aimaient la musique, même s'ils vivaient une situation impensable sur les bateaux, trois cent soixante-cinq jours par an, où il était difficile de faire cohabiter autant de fortes personnalités. Mais on sentait qu'ils aimaient la musique et que tout ce qu'ils voulaient, c'était diffuser cette musique." Pour écrire et réaliser Good morning England, Richard Curtis ne s'est pas plongé dans l'histoire des radios pirates. Il n'a pas fait appel à d'anciens DJ's pour le conseiller. Il a inventé une histoire à partir de ses souvenirs. "Ce que j'ai fait, c'est que j'ai écrit le film en partant d'une sorte de rêve, pour ne pas être prisonnier d'une documentation trop précise. Je pense que si on a trop d'informations, on peut parfois s'éloigner de ce qu'on voulait écrire pour écrire ce que dicte la documentation. Quand le film a été terminé, j'ai fait quelques recherches et puis j'ai assisté à une réunion d'anciens DJ's qui évoquaient leurs souvenirs et – Dieu merci – ça collait avec mon film".Au milieu des années 60 en Angleterre, la radio d'Etat, la BBC, passe à côté de la révolution musicale qui est en train de bouleverser le pays et le monde. Pour écouter les Kinks, les Rolling Stones, les Animals ou les Yardbirds, pour échapper aux sentiers battus du hit-parade, il n'y a qu'une solution : écouter le service anglais de Radio Luxemburg 208 ou se brancher sur les radios pirates amarrées le long des côtes anglaises comme Radio Caroline ou Radio London. En matière de radios pirates, les Anglais ne sont pas des précurseurs. Ils n'ont fait que transposer chez eux ce qui se passe déjà ailleurs. Il faut rappeler qu'à cette époque, les radios en Europe sont encore un monopole d'état et personne ne peut émettre à son propre compte depuis le territoire national sans enfreindre la loi. Pour contourner le problème, deux Danois ont imaginé d'installer une station de radio sur un bateau ancré en dehors des eaux territoriales, c'est-à-dire en haute mer. Ils se fondent sur le statut juridique que le droit international donne à la haute mer, et qui stipule que ces zones ne sont sous la dépendance d'aucun Etat. Ils aménagent un bateau de pêche battant pavillon panaméen, le "Cheeta", et ils commencent à émettre en direction de Copenhague, le 11 juillet 1958. C'est la naissance de Radio Mercur, la première des radios pirates modernes. Radio Mercur doit surmonter de nombreuses difficultés. Le gouvernement danois brouille sa fréquence et réussit à faire perdre au bateau son pavillon panaméen. Plusieurs tempêtes, le démâtage de l'antenne et des problèmes d'ancrage ne viennent rien arranger. Malgré tout, Radio Mercur est un succès et fait des émules.
Le 21 avril 1960, c'est le début de Radio Veronica qui émet en hollandais vers la Hollande. Très vite, l'audience de Veronica est estimée à cinq millions d'auditeurs. Pourtant les moyens sont limités : les enregistrements sont réalisés sur une simple table et les animateurs - que l'on appellera plus tard les DJ's - passent leurs disques personnels. La musique pop et rock des sixties, grâce à cette forme de radio, va pouvoir trouver son public. Le 16 février 1961, Radio Veronica est la première radio pirate à émettre en Anglais vers l'Angleterre. Mais il faut attendre 1964 pour assister à l'explosion du phénomène. A son origine, il y a un Irlandais, Ronan O'Rahilly, un grand amateur de musique qui s'est installé à Londres en pleine explosion pop. Patron d'une discothèque réputée, le Scene Club, il a décidé de se lancer dans le management de jeunes artistes et de monter son propre label.
"J'ai appris beaucoup de choses à l'époque où je m'occupais de Georgie Fame, quand je suis allé proposer un de ses titres à différentes maisons de disques. En fait, il n'y avait que deux compagnies qui comptaient : EMI et Decca. Elles avaient le monopole complet sur l'industrie musicale. Elles possédaient les circuits de distribution et elles contrôlaient tous les programmes de Radio Luxembourg, en tout cas 70 %. Il y avait deux autres petites compagnies, Pye et Phillips, qui se partageaient 12 % du marché parce qu'elles avaient un peu de temps d'antenne sur Luxembourg. Aucune autre compagnie ne pouvait briser ce monopole solide. Je suis donc allé chez EMI et Decca avec une épreuve de Georgie Fame et les deux m'ont dit que ce n'était pas encore le bon moment. Je me suis donc décidé à l'enregistrer moi-même, sur mon propre label. Je n'avais pas encore vraiment conscience du monopole. Je pensais simplement qu'il n'y avait que quatre maisons de disques et que ça n'allait pas plus loin. Presque tout le temps d'antenne de Luxembourg était acheté. Alors, je suis allé à la BBC où on m'a dit qu'ils ne passaient que les talents confirmés dans une ou deux émissions hebdomadaires, je ne me rappelle plus très bien. Ils avaient une émission Top of the Pops et une ou deux autres du même genre, le soir. En tout cas, il n'y avait pas beaucoup d'exposition dans la journée. On n'entendait pas de music pop. Arrivé à ce point, mon esprit a travaillé très logiquement et je me suis dit que, puisque je ne pouvais pas avoir de temps d'antenne, la suite logique, l'étape suivante, c'était de créer une station de radio". Ronan O'Rahilly choisit de baptiser sa station de radio, Radio Caroline. "J'étais en phase avec les Kennedy. J'aimais beaucoup les Kennedy depuis que j'avais vu John Kennedy à la télévision pour la première fois en 1959. Dans sa façon de parler, il y avait quelque chose qui passait et qui m'a touché comme ça a touché le monde entier. Je me rappelle, je voyageais aux Etats-Unis pour trouver du matériel de transmission et j'avais acheté un magazine, Look ou Life, et il y avait une photo avec cette légende : 'Caroline Kennedy interrompt les gouvernants.' C'était dans un endroit où se déroulait une réunion et on la voyait ramper sous un bureau en bousculant tout. Et au lieu de demander à un de ses assistants de la faire sortir, John Kennedy s'est tourné vers elle, délaissant tous ces gens sérieux et importants qui l'entouraient. Voilà le contexte de cette photo. Le photographe qui était là l'a prise lorsqu'elle apparaît sous le bureau. Tout le monde sourit et le titre, c'était 'Caroline dérange le bureau ovale.' Ce genre d'image souriante symbolisait l'idéal des Kennedy, qui était l'ouverture à la nouveauté et au progrès, le soutien au meilleur de la libre entreprise avec beaucoup de cœur. C'est une combinaison que j'ai toujours trouvée très saine. Il y avait toute cette imagerie et ce titre avec Caroline, et je me suis dit : voilà, c'est ça ! Et j'ai découvert plus tard que le prénom féminin le plus populaire en Angleterre était Caroline."
Ronan O'Rahilly est certes un pionnier des radios pirates en Angleterre, mais il n'est pas le seul. Un éditeur de musique d'origine australienne, Alan Crawford, qui vit et travaille en Angleterre, a eu la même idée presque au même moment. Deux hommes, deux bateaux, deux stations sont donc en compétition pour être les premiers à émettre sur la Grande-Bretagne : Ronan O'Rahilly et son bateau le Fredericia pour Radio Caroline, et Alan Crawford et son Mi Amigo pour Radio Atlanta.
En attendant de trouver leur point d'ancrage définitif, les deux bateaux rejoignent presque simultanément le port irlandais de Greenore où ils achèvent de s'équiper. Greenore n'a pas été choisi par hasard : c'est le seul port privé d'Irlande et on peut y travailler en toute discrétion, en tout cas loin des autorités nationales. Simon Dee, le DJ qui aura l'honneur de lancer Radio Caroline, a vécu tous ces préparatifs: "Nous avons décollé de Heathrow avec Chris Moore, qui a été notre premier directeur des programmes – c'était un ami de Ronan -, et nous avons atterri à Dublin. Nous avons ensuite suivi la route côtière jusqu'à Greenore. Je me rappellerai toujours, c'était le soir et on est arrivé en haut d'une petite colline. On dominait le port de Greenore – ça a l'air très romantique, mais c'était vraiment très beau – et on pouvait voir au fond comme une mince aiguille d'acier qui était le mât de Caroline, qui faisait plus de trente-cinq mètres de haut. C'est là que nous avons commencé à travailler pour aménager le premier bateau qui était arrivé là, le bateau de Ronan, le ferry de la Baltique, Caroline."
Entre le "Fredericia" de Radio Caroline et le Mi Amigo de Radio Atlanta, la rivalité est grande. Une tempête, un mât de transmission défectueux et - il faut bien le dire - quelques manœuvres aux limites de la régularité, permettent au Fredericia d'être opérationnel avant le Mi Amigo.
Le 28 mars 1964, depuis l'estuaire de la Tamise, Radio Caroline commence ses transmissions sur 199 mètres ondes moyennes. Le lendemain, le dimanche de Pâques, la station est officiellement lancée par le DJ Simon Dee qui n'a rien oublié de cet épisode. "Nous nous sommes levés ce matin-là. Les bandes étaient prêtes dans la cabine de contrôle. Nous n'avions pas voulu passer de disques en direct parce que nous n'étions pas équipés antiroulis. Pour la première émission, nous avions des bandes, mais il fallait être en direct évidemment pour la première annonce. L'heure approchait et on était confiant. J'étais un peu nerveux, bien sûr, tout le monde était nerveux. Tout était prêt. Vers onze heure et demie, nous avons vérifié l'indicatif de Caroline qui était Round midnight par Jimmy McGriff, la musique de notre station. On l'a vérifié deux fois. Je crois que ce morceau durait trois minutes trente-cinq. Donc, en comptant trente secondes de parole, il a fini trente secondes avant midi. J'ai vu la lumière rouge 'antenne' et j'ai dit : 'Bon après-midi, Mesdames et Messieurs. Vous écoutez Radio Caroline sur 199, votre station musicale.' C'est ainsi que Caroline a commencé: "You're tuned to Radio Caroline on 199, your all day music station". Et Simon Dee enchaîna avec le Can't buy me love des Beatles. Un mois et demi après le lancement de Radio Caroline, le 9 mai 1964, le Mi Amigo est à son tour en position dans l'estuaire de la Tamise. A la fin des émissions de Radio Caroline, Radio Atlanta enchaîne avec sa première transmission sur la longueur d'onde voisine de 197 mètres. Le DJ Bob Scott insiste lourdement : "This is a test transmission only", mais ce coup de pub habile vient de lancer la nouvelle station à moindre frais. En quelques mois, les radios pirates se multiplient : le 27 mai 64, c'est le chanteur Screaming Lord Sutch qui lance sa propre station, , toujours depuis l'estuaire de la Tamise. Radio Sutch a la particularité de ne pas émettre depuis un bateau mais à partir d'une structure militaire abandonnée, The Shivering Sands Towers, qui est ancrée sur le sol marin à la manière des plates-formes pétrolières. Le 30 septembre 64, Radio Sutch devient Radio City et c'est Reg Calvert, le manager de la pop star, qui en prend les commandes. Le 3 juin 1964 marque les débuts de Radio Invicta, qui émet depuis une autre structure militaire, Red Sands Fort. Le 2 juillet 64, Radio Caroline absorbe son principal concurrent, Radio Atlanta. Radio Caroline est rebaptisée Radio Caroline North et Radio Atlanta devient Radio Caroline South. Avec un premier bateau ancré au nord-ouest de l'Angleterre, à proximité de l'île de Man, et un second toujours dans l'estuaire de la Tamise, la couverture du pays est quasi totale. Quant aux anciens concurrents, Ronan O'Rahilly et Alan Crawford, ils se partagent désormais la direction de la station.

Dès le mois de mai 1964, l'ancienne Radio Atlanta avait fait un grand pas vers la normalisation de ses rapports avec les artistes et l'industrie du disque en annonçant qu'elle payerait les droits d'auteurs sur les titres qu'elle diffuse. Bientôt appliquée par tous ses concurrents, cette mesure calme les esprits. Mais elle a aussi pour conséquence d'alourdir considérablement les frais de fonctionnement des stations.
Or, ces frais sont déjà importants : il faut entretenir le bateau et veiller à son ravitaillement, il faut payer les marins et les DJ's, financer un bureau londonien et assurer la promotion de la station. Les radios pirates décident donc de se tourner la publicité, un domaine encore vierge où elles feront figure de pionniers de la radio commerciale moderne. Radio Caroline utilise toujours la version de Round midnight par Jimmy McGriff pour terminer ses émissions, mais la station a un second thème qui s'appelle tout simplement Caroline et qui a été enregistré par un groupe de Birmingham, The Fortunes.
Décembre 64 voit l'arrivée de Radio London, diffusée depuis le Galaxy, ancré à proximité du bateau de Caroline South. L'époque est encore bon enfant, la concurrence peu agressive, et c'est prévenu amicalement par Ronan O'Rahilly que le Galaxy reculera de quelques encablures pour sortir des eaux territoriales où il s'était installé par erreur. Dès le départ, Radio London se démarque de Radio Caroline par son approche plus professionnelle, sa programmation étudiée à base de play-list et ses jingles à l'américaine.
Différentes mais complémentaires, Caroline et London ont chacune leurs partisans et leurs détracteurs. Pour Johnnie Walker, le DJ de Caroline South, "Radio London, c'était juste une bonne station de radio qui avait la particularité d'être sur un bateau. Caroline, c'était la radio pirate par excellence, pirate dans sa programmation, dans son esprit, dans l'attitude des DJ's. Il n'y avait pas de règles, mais de l'énergie, de l'enthousiasme, de l'exubérance, de la folie et beaucoup de coeur".
A l'époque, il n'y a pas encore de sondages pour déterminer l'audience d'une station de radio. Pour y remédier, les stations appellent leurs auditeurs à écrire, ce qui leur permet de les comptabiliser et aussi de contrôler la zone couverte par leurs émetteurs.
Sur les bateaux, la vie des DJ's n'est pas de tout repos. En dehors des heures d'antenne, beaucoup s'ennuient ferme. Ils restent parfois isolés pendant plusieurs semaines à cause des conditions atmosphériques difficiles qui agitent la Manche, la Mer d'Irlande et la Mer du Nord, surtout en hiver.
Certains ont le pied marin. C'est le cas de Dave Cash - de Radio London -, ou de Emperor Rosko - de Caroline South -, qui a fait son service militaire dans la marine américaine, où il présentait une émission depuis un porte-avions. D'autres DJ's supportent moins bien le tangage et le roulis : par exemple Paul Burnett - de Radio 270 - qui travaille avec un seau à ses côtés, ou Stuart Henry - de Radio Scotland - qui souffre tellement du mal de mer qu'il finira par enregistrer ses shows à terre pour qu'ils soient diffusés sur bande depuis le bateau. De retour sur la terre ferme, les DJ's peuvent enfin profiter de leur célébrité : ils sont des vedettes à part entière, à l'égal des chanteurs ou des groupes qu'ils diffusent. Pendant ce temps, le gouvernement britannique prépare sa riposte, car il est hors de question de laisser les radios pirates continuer à bafouer le monopole des ondes accordé à la BBC. D'autant que la BBC voit le nombre de ses auditeurs diminuer de jour en jour au profit de ces mêmes stations. Le 22 janvier 1965, la Grande-Bretagne, la Belgique, la France, le Luxembourg, le Danemark, la Suède et la Grèce adoptent une loi qui interdit la diffusion d'émissions pirates depuis des bateaux, des avions ou tout objet flottant ou volant. Cette loi interdit aussi qu'on vienne en aide aux pirates ou qu'on leur fournisse du matériel. C'est une première attaque contre les radios pirates, mais elle n'est pas encore décisive.
Parallèlement, un très officiel comité recommande au gouvernement britannique de lancer sa propre radio commerciale. C'est en effet une bonne affaire puisque Radio Caroline engrange quinze mille livres sterling de publicité chaque semaine. Ronan O'Rahilly, qui est irlandais rappelons-le, commente ce succès avec cette phrase : "Les Irlandais engendrent des rebelles, les Anglais des gentlemen. Les Anglais aiment regarder l'action, les Irlandais l'accomplir." En mars 65, Radio Invicta s'arrête. Après une brève période sous le nom de King Radio, elle devient Radio 390 en septembre. Et c'est un succès immédiat, grâce à un signal particulièrement clair et une programmation plutôt "middle of the road", destinée à plaire à un auditoire plus âgé et plus conventionnel. Sur le même modèle, mais avec une programmation beaucoup plus pointue en soirée, Radio Essex démarre le 7 novembre 65, depuis Knock John Fort, toujours dans l'estuaire de la Tamise. Le 31 décembre 65, c'est au tour de Radio Scotland de commencer à émettre depuis The Comet. Son slogan, "Swinging to you on 242", est très accrocheur. Quant aux jingles, c'est une autre histoire. Ils sont dignes d'un réveil en fanfare et pas toujours du meilleur goût ! En cette fin d'année 1965, Radio Caroline et Radio London dominent le marché. Avec soixante mille livres de rentrées mensuelles, Radio London est de loin la plus riche. Un sondage la classe d'ailleurs en tête des radios pirates avec une moyenne de 8 millions 390 mille auditeurs par jour. Suivent Radio Caroline avec 6 millions 270 mille auditeurs, Radio Scotland avec 2 millions 450 mille et Radio 390 avec 1 million 700 mille auditeurs par jour.
Après 1965, qui a été une année euphorique dans le développement des radios pirates, 1966 amène les premiers bouleversements, les premières fermetures et les premières restructurations, motivés principalement par l'argent. En effet, les patrons de ces radios qui sont principalement des hommes d'affaires et des grosses compagnies, ne veulent plus seulement se contenter d'équilibrer les comptes. Ils veulent faire des bénéfices. La publicité devient un élément essentiel dans l'organigramme des radios. Les messages diffusés à l'antenne durent pour la plupart une minute. A partir de 1966, les DJ's des radios pirates sont souvent supervisés par un directeur des programmes chargé d'éviter les dérapages. Certains comme Rosko protestent à leur façon en jetant discrètement par dessus bord les disques qu'ils ne veulent pas passer. Pour conquérir de nouveaux publics, d'autres radios différentes voient le jour. Mai-juin 66 voit la naissance de Britain Radio et de Radio England qui émettent toutes les deux depuis le Olga Patricia, ancré à trois miles de Walton on the Naze, sur la côte est de l'Angleterre. Les changements de formats et de noms se multiplient. Radio England s'arrête dès le 4 novembre pour être remplacée par une station hollandaise, Radio Dolfijn, baptisée aussi Radio Flipper. Puis, c'est Radio 227 qui prend sa place. Britain Radio s'arrête à son tour le 22 février 67 pour redémarrer sous le nom de Radio 355. Le 4 juin, ce sont les débuts de Radio 270.
Nous sommes au beau milieu de cette explosion musicale que l'on a appelée la "British Invasion".
Le 18 avril 1965, le DJ Tony Blackburn devient un héros en grimpant au sommet du mat du Mi Amigo pour réparer l'antenne de Radio Caroline. Dans le quotidien des radios pirates, il y a parfois des épisodes comiques, parfois de petits drames, mais jamais rien de bien sérieux.
En tout cas jusqu'à cette soirée du 20 juin 66 lorsque le major Oliver Smedley, patron de l'ancienne Radio Atlanta, débarque avec dix hommes sur la plate-forme Shivering Sands où est basée Radio City. Il vient récupérer par la force l'émetteur qu'il leur a vendu mais qui n'a –semble-t-il – jamais été payé. Dès le lendemain, le patron de Radio City, Reg Calvert, se rend au domicile d'Oliver Smedley pour lui reprendre son émetteur. Un coup de feu claque : Reg Calvert est mortellement atteint.
Plaidant la légitime défense, Oliver Smedley sera acquitté par le tribunal, mais l'image des radios pirates en sortira définitivement ternie. Le pirate, celui qui s'attirait la sympathie des foules en défiant la loi, est devenu synonyme de voyou, de gangster. Le 2 juillet 1966, alors que la BBC met au point sa propre radio commerciale, le gouvernement britannique du travailliste Harold Wilson présente sa loi destinée à éliminer les radios pirates, le "Marine Broadcasting Offences Act". D'après cette loi, les radios pirates représentent un danger pour la navigation et leur signal peut gêner la transmission des appels de détresse et l'organisation des services de secours.
En attendant que cette loi soit votée, des plaintes sont déposées contre les stations installées sur les plates-formes fixes disséminées dans l'estuaire de la Tamise. Il s'agit de prouver que ces endroits, contrairement à ce qu'affirment les stations qui y ont élu domicile, sont à l'intérieur des eaux territoriales anglaises et doivent donc arrêter immédiatement leurs activités.
Ce harcèlement, lié au fait que la loi sera votée à coup sûr, fait des ravages parmi les pirates : Radio City, Radio 390, Radio Scotland, Radio 270 et Radio 355 préfèrent abandonner et cessent d'émettre. Radio City fermera le 8 février 67 à minuit. Certains font de la résistance en demandant à leurs auditeurs d'écrire au Premier ministre, Harold Wilson, afin qu'il organise un référendum à propos de l'avenir des radios libres.
Le 15 août 1967, le texte qui met définitivement hors la loi les radios pirates est publié au Journal officiel avec effet au 31 août. Il ne reste plus qu'à se plier et Radio London ferme le jour même. Son patron, Philip Birch, vient de publier ce communiqué où il dit : "Il est regrettable que l'action de ce gouvernement envers les radios indépendantes ait toujours été dans le sens de leur fermeture, ce qu'il faut voir comme un plan concerté visant à maintenir le monopole de l'Etat sur la diffusion hertzienne". Des milliers de fans se massent à Londres, à Liverpool Street Station, pour accueillir les DJ's débarquant du Galaxy. Beaucoup de fans portent des brassards noirs et des badges où on peut lire : "Wilson for ex-premier", c'est-à-dire, "Wilson, démission !" Seule parmi les radios pirates, Radio Caroline fait de la résistance. L'aventure va encore durer quelques mois. A ce moment, Radio Caroline est la plus gosse radio commerciale du monde avec vingt millions d'auditeurs. Pourtant, le 2 mars 1968, ce sont les patrons de Caroline eux-mêmes qui vont y mettre fin, en envoyant un commando musclé à l'abordage du Fredericia et du Mi Amigo, dans une action concertée. Les bateaux seront alors remorqués vers Amsterdam, les équipages et les DJ's débarqués, payés, puis rapatriés en avion vers Londres, sans le moindre mot d'explication. En fait, il s'agit tout simplement d'une faillite commerciale et les créanciers ont fait saisir les bateaux pour récupérer leurs mises. Cet épilogue brutal marque la fin de l'aventure des radios pirates.
Après une période de silence, Radio Caroline renaîtra de ses cendres, mais sous une forme différente. Aujourd'hui, Caroline est diffusée par le satellite Eurobird 1 et sur Internet. Le 15 août 68, un an après la promulgation de la loi qui a condamné les radios pirates, une station appelée Radio London Three émet pendant une heure sur Londres. Durant la nuit qui suit, une manifestation est organisée devant le Ministère des Postes et Télécommunications, puis un cercueil est promené dans les rues de Londres avec l'inscription "Voilà ce qu'il reste des radios pirates". Le cortège s'arrête alors devant le 10, Downing Street, où une lettre de protestation est remise au domicile du Premier ministre.
Plus tard, on découvrira l'antenne qui avait servi à émettre cette courte émission pirate, fixée à l'escalier de secours extérieur de la BBC ! Radio London Three continuera à émettre quelque temps, rebaptisée Radio Free London. Un raid de la police chez le coupable, le DJ Spangles Muldoon, y mettra fin. On le retrouvera plus tard sur les antennes de Radio-Luxembourg 208 sous le nom de Chris Carrey. Le 30 septembre 1967, en réponse aux radios pirates, la BBC avait lancé Radio One. Mais à part Caroline, celles-ci n'étaient déjà plus là pour lui faire ombrage. A Radio One, les DJ's sont presque tous d'anciens pirates, tout comme le sont ceux de sa grande concurrente, Radio Luxembourg 208. Le public plébiscite les deux stations, car il y retrouve l'esprit et la programmation des radios pirates défuntes. Radio Luxembourg est née en 1933, à Paris. Dès le départ, son but est de concurrencer la BBC. Dans un premier temps, la station n'émet que le dimanche, jour de repos sacré pour les Anglais où la radio d'Etat ne diffuse qu'un programme soporifique à base de musique légère. Le succès est immédiat et dès 1938, Radio Luxembourg compte plus d'auditeurs que la BBC. Entre-temps, la station s'est relocalisée à la Villa Louvigny, un grand bâtiment situé dans le parc qui se trouve en plein cœur de la ville de Luxembourg. Après la longue interruption de la Deuxième Guerre mondiale, Radio Luxembourg reprend ses émissions, d'abord sur les grandes ondes, puis sur 208 mètres ondes moyennes, d'où son autre nom, 208. Depuis le Grand Duché, Radio Luxembourg arrose l'Angleterre avec un succès toujours grandissant et en 1959, l'émission vedette de la station, le Top 20, rassemble plus de douze millions de fidèles chaque semaine. Après la mort des radios pirates, Radio Luxembourg demeure la seule station commerciale à émettre sur l'Angleterre. Grâce à ses DJ's vedettes et à un savoir-faire exceptionnel, Radio Luxembourg 208 devient la référence, la station de radio par excellence, "The station of the stars". Bob Stewart, un ancien DJ pirate de Radio Caroline en sera l' un de ses vedettes. Bob Stewart qui ponctue encore aujourd'hui toutes les émissions de nuit sur RTL . Il y avait aussi Paul Burnett qui arrivait de Radio 270, Johnnie Walker et Tony Prince venaient de Caroline South, Mark Wesley et Stuart Henry de Radio Scotland. Il faut également citer Kid Jensen, Mike Read, Peter Powell, Barry Alldis, Rob Jones, Dave Christian, Peter Anthony, Benny Brown, Mike Hollis, sans oublier Emperor Rosko, qui prendra le titre de Président à la fin des années 60 quand il viendra à Paris: "Le plus beau, celui qui marche sur l'eau"...
Dans le film Good morning England, c'est Kenneth Branagh qui interprète le personnage de Alistair Dormandy, le Postmaster General, ce qui équivaut en France au ministre des Postes et Télécommunications. C'est lui qui va tout faire pour éliminer les radios pirates.
Mais bien sûr, comme tous ceux de sa génération, à l'époque où se situe l'action du film, Kenneth Branagh se trouvait de l'autre côté de la barrière : il écoutait passionnément les radios pirates: "J'ai quelques souvenirs des années 66-67, lorsqu'on allait chez ma grand-mère, les samedis après-midi, et qu'on regardait à la télévision des émissions de pop music où les gens avaient des cheveux bien plus longs que les miens. Parfois, mes parents changeaient de chaîne, peut-être parce qu'il y avait des choses que je ne devais pas voir ou entendre. Il y avait cette idée que la télévision que nous regardions et la radio que nous écoutions beaucoup pouvaient contenir des choses dangereuses. Je me rappelle que mes parents surveillaient ce que j'écoutais. Et un peu plus tard, les soirs de semaine, quand les lumières étaient éteintes, j'écoutais une petite radio, sous l'oreiller. J'essayais de trouver le signal de Radio Luxembourg et j'étais très excité lorsque je le captais. Mais c'était parfois un supplice. Les radios qui émettaient d'un bateau en Mer du Nord n'étaient pas constamment audibles. On n'entendait que des bribes de ce qu'ils disaient, ce n'était clair que par moments. C'était à la fois l'excitation du secret et de l'interdit."